La motilité intracellulaire est l’une des caractéristiques propres à tous les organismes vivants. Les composants cellulaires, tels que vésicules et organelles du transport membranaire, se déplacent dans des directions spécifiques dans la cellule, soit grâce à la dynamique d’assemblage et de désassemblage du cytosquelette, soit par la conversion d’énergie chimique en énergie mécanique grâce à des moteurs moléculaires spécialisés. Les myosines constituent l’une des familles de ces moteurs moléculaires ; elles utilisent l’ATP cellulaire afin de créer des interactions avec les filaments d’actine (actine F), générant ainsi une force et des déplacements dirigés.
Le groupe « Motilité structurale » de l’Institut Curie utilise la cristallographie aux rayons X afin d’étudier les structures atomiques permettant de comprendre la façon dont les moteurs myosines créent de la force, comment leur activité est régulée et comment ils sont recrutés au niveau des organelles ou vésicules spécifiques.
Les informations structurales sur les différents états que la protéine moteur adopte au cours d’un cycle de fixation et d’hydrolyse de l’ATP et de libération des produits d’hydrolyse sont essentielles pour comprendre comment l’énergie chimique est convertie en force. En collaboration avec une grande équipe d’experts en myosines coordonnée par le Dr Lee Sweeney (Université de Pennsylvanie, Etats-Unis), nous validons et complétons également cette approche structurale avec des études fonctionnelles afin de tester les hypothèses soumises en visualisant les différents états structuraux du moteur. Cette intégration d’études structurales et fonctionnelles nous permet de répondre à des questions fondamentales sur la fonction, la régulation et le recrutement des myosines.

Les changements conformationnels dépendants de l’actine dans le moteur myosine entraînent la libération séquentielle de produits d’hydrolyse de l’ATP (phosphate inorganique (Pi) suivi d’ ADP) afin de produire une force déplaçant la myosine le long des filaments d’actine. Ces changements conformationnels du domaine moteur sont amplifiés par un « bras de levier » (longue hélice α composée d’ IQ motifs, qui agissent comme sites de liaison pour les chaînes légères régulatrices de la myosine semblables à de la calmoduline. Le bras de levier est fixé à une région du moteur, appelée convertisseur, qui semble amplifier et convertir les mouvements issus de changements liés à l’actine dans la conformation du moteur. Cela engendre un changement d’orientation du bras de levier à peu près parallèle au filament d’actine, ce qui est appelé phase de génération de la force de la myosine (powerstroke). La phase de génération de la force commence lorsque la myosine, avec le Pi et l’ADP fiés sur ses sites actifs, se lie aux filaments d’actine (état précédant le « powerstroke » avec le convertisseur en position « élevée ») et prend fin lorsque les produits d’hydrolyse sont libérés (état de rigueur avec le convertisseur en position « basse »). Selon cette théorie du « bras de levier rotatif » la taille des pas engendrés par la myosine devrait être proportionnelle à la longueur du bras de levier ; cela s’est révélé être le cas pour la myosine II et la myosine V, mais l’on ne sait toujours pas très bien si cela s’applique à la myosine VI.
Notre structure cristalline de la myosine V en absence de nucléotide, publiée en 2003, a décrit pour la première fois la structure à haute résolution de l’état de rigueur de la myosine. En cristallisant ce même moteur avec un analogue Mg2+- ATP, nous avons identifié à la résolution atomique les réarrangements dans le domaine moteur correspondant à son détachement des filaments d’actine (Fig. 1).

Plus récemment, nous avons également obtenu la structure de la myosine VI en état de rigueur (Fig. 3). La myosine VI est un moteur qui se déplace dans le sens inverse des autres myosines, vers le bout pointu des filaments d’actine. Dans la famille des myosines, elle a un mécanisme unique, peu connu, qui lui permet d’effectuer plusieurs pas le long d’un filament d’actine sans avoir à s’en détacher. De façon surprenante, ces pas ont une taille similaire à ceux de la myosine V, bien que le bras de levier de la myosine VI ne contienne qu’un IQ motif, tandis que la myosine V en comprend six. Notre structure de l’état de rigueur de la myosine VI révèle qu’une séquence de 39 résidus d’acides aminés (K771-K809), non présente dans les autres types de myosine, se fixe autour du convertisseur et fixe une calmoduline qui interagit avec le convertisseur (Fig. 2), ce qui permet de changer l’orientation du bras de levier de ~120º par rapport à celui des autres myosines, et ce qui explique sa directionnalité inverse. Cependant, pour expliquer la phase importante de génération de force de la myosine VI, l’état de la myosine VI précédent la génération de force doit être différent de celui des myosines qui se déplacent dans le sens (+).
Nos recherches actuelles se concentrent sur les structures d’autres états biochimiques de la myosine VI, la plus énigmatique de toutes les myosines. Nous devons décrire d’autres états du cycle ATPase afin de comprendre totalement comment ce moteur « inverse » se déplace et produit de la force. Des données préliminaires sur l’état précédant la phase de génération de force révèlent, de façon inattendue, qu’un changement conformationnel a lieu dans le convertisseur ; nous devons à présent confirmer que cette nouvelle conformation du convertisseur existe dans d’autres structures et/ou trouver des preuves de son existence grâce à des études fonctionnelles. En outre, nous utilisons plusieurs approches innovantes afin de comprendre l’état qui permet la libération de Pi, ce qui est au cœur de la production de force par la myosine . Enfin, comme aucune donnée structurale n’est encore disponible sur la façon dont la myosine reconnaît son « cargo », nous souhaitons obtenir des structures atomiques de l’intégralité du bras de levier de la myosine VI et du domaine du « cargo » de diverses myosines seules ou liées à des partenaires cellulaires.