L’étude biologique et clinique du cancer passe aujourd’hui par la caractérisation moléculaire des tumeurs. En effet, mutations de l’ADN et expression des gènes sont révélateurs des mécanismes de la progression tumorale et éclairent aussi bien la compréhension de la biologie du cancer que les choix thérapeutiques. Dans ce contexte, l’émergence de nouvelles technologies d’investigation moléculaire et subcellulaire systématique a révolutionné la recherche contre le cancer. Ces technologies génèrent des masses considérables de données, telles les puces à ADN (2 millions de mesures par puce), le phénotypage cellulaire massif, ou le séquençage de nouvelle génération (une dizaine de Gigabases et quelques centaines de millions de séquences par expérience). Les volumes, la complétude, et la résolution des informations apportées par ces technologies nous amènent à proposer de nouvelles stratégies d’analyse et de nouveaux concepts, à traduire au sein d’une démarche scientifique rigoureuse.
Axe I : étude bioinformatique et biostatistique des tumeurs (Emmanuel Barillot)
La première étape dans l’exploitation des données moléculaires à haut débit consiste à extraire un signal biologique d’expériences à faible rapport signal/bruit, et menées en parallèle sur des milliers ou des millions de variables (gènes, positions sur le génome…). Ceci suppose de gommer les artefacts expérimentaux : on parle de normalisation de l’information. Une fois obtenue une mesure fiable pour chaque gène ou chaque locus génomique, ce pour chaque tumeur entrant dans le champ d’une étude, il est nécessaire de convertir l’information biologique en connaissance biologique, et d’identifier les voies biologiques impliquées dans la pathologie. Nous développons pour cela des méthodes de réduction de complexité comme l’analyse en composantes indépendantes (ACI). Nous travaillons également avec des techniques statistiques pointues d’intégration de données afin d’utiliser les données de profils de mutations ou d’expression à des fins de pronostic ou de diagnostic thérapeutique.
Nous appliquons ces approches en particulier au mélanome uvéal, au cancer du sein, aux tumeurs pédiatriques, et aux carcinomes de vessie en collaboration avec différents départements et unités de recherche de l’Institut Curie.
Axe II : biologie des systèmes du cancer (Andrei Zinovyev, Emmanuel Barillot)
L’approche du groupe biologie des systèmes du cancer consiste à étudier le système tumoral à différents niveaux d’échelle (ADN, ARN, protéines, réseaux, cellules, organes, individu…) et de manière dynamique, en proposant un modèle qui s’appuie sur les interactions connues entre les composants du système. Par le biais de cette approche, nous pouvons mettre en évidence les propriétés essentielles du système (phénotype global par exemple), Ces propriétés résultent de l’interaction entre les composants unitaires du système, et ne sont pas prédictibles si l’on considère individuellement ses composants ; on parle de propriétés « émergentes ». Cet aspect de nos recherches passe par la modélisation des réseaux moléculaires impliqués dans la progression tumorale, la confrontation aux données expérimentales et la définition de boucles itératives entre modèle et expérimentation pour valider le caractère prédictif du modèle.
Les modèles construits sont ensuite utilisés pour prédire l’évolution tumorale, et mettre en évidence quelles perturbations appliquer au système pour lui faire adopter le comportement désiré, typiquement stopper la prolifération cellulaire. Notre approche est donc fortement liée aux notions de robustesse, de complexité et de flexibilité dans les réseaux biologiques.
Nos sujets d’étude, débutés en 2005, concernent différents systèmes. En collaboration avec l’unité « génétique et biologie des cancers » (U830 INSERM/Institut Curie) nous étudions la tumeur d’Ewing et les réseaux activés en réponse à l’oncogène EWS-FLI1, responsables de la prolifération cellulaire de cette tumeur.
Nous travaillons également sur la modélisation des voies de contrôle du cycle cellulaire, comme Rb/E2F en collaboration avec l’équipe « Oncologie moléculaire » (UMR 144 CNRS/Institut Curie) dans le cas des tumeurs de vessie, ou la voie d’un gène impliqué dans la prolifération et la mort cellulaire, NFkB.
Depuis peu nous collaborons avec le Département de Transfert de l’Institut Curie dans le cadre de l’étude des carcinomes du sein. Enfin, notre équipe travaille également sur un projet européen (APO-SYS) pour construire un modèle de l’apoptose dans différents cancers. Ce projet, qui regroupe 22 partenaires européens sous la coordination du Karolinska Institute à Stockholm, est le premier projet de biologie des systèmes de cette ampleur dédié au cancer et au SIDA.